Nicolay Fakiroff

Marie-Amélie LOMBARD

L’affaire Moracchini n’en finit pas d’agiter le palais de justice de Paris. Ces derniers temps, les soubresauts se multiplient. Cet après-midi, le feuilleton fera étape à la chambre d’accusation de Paris où seront à nouveau examinés les aléas du dossier de la Scientologie et la demande de dessaisissement de Marie-Paule Moracchini, magistrat instructeur.

Au-delà de cette péripétie procédurale, d’autres enjeux se dessinent. Au palais de justice, et notamment dans les galeries d’instruction, on dénonce souvent un « acharnement contre un juge qui n’entre pas dans les critères du politiquement correct ». Longtemps muette, Marie-Paule Moracchini prend désormais les médias à témoin : « Ou c’est la chronique d’un dessaisissement annoncé ou c’est une pression du pouvoir politique sur la chambre d’accusation. Dans les deux cas, c’est grave », confiait-elle la semaine dernière au Nouvel Observateur.

En ligne de mire, l’attitude de la Chancellerie qui a saisi le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) à son encontre. Officiellement, cette procédure disciplinaire est motivée par l’inaction du juge dans l’affaire de la Scientologie. Elle ne serait qu’un prétexte pour sanctionner Marie-Paule Moracchini dans une autre affaire, celle du substitut de Toulon, Albert Lévy, qu’elle a mis en examen pour violation du secret de l’instruction. La Chancellerie n’aurait pas apprécié son entêtement à enquêter sur ce parquetier, réputé de gauche et soutenu par le Syndicat de la magistrature. « Je n’ai aucun sens de l’opportunité politique. Ce n’est pas ma conception du métier », assénait d’ailleurs Mme Moracchini au Nouvel Observateur.

Le cas de ce juge, dont adversaires comme partisans soulignent l’intransigeance, suscite désormais d’autres réflexions. « Pendant plus de dix ans, le travail de Mme Moracchini n’a jamais été critiqué. S’il y avait lieu d’émettre des réserves, pourquoi ceux censés contrôler son travail ne l’ont-ils pas fait ? Pourquoi lui a-t-on laissé la responsabilité supplémentaire de répartir les dossiers d’instruction entre ses collègues ? », interroge un haut magistrat. Qui fournit aussitôt cette réponse : « Cela fait trop longtemps que l’instruction tourne en vase clos à Paris. Tout le monde se couvre. Les autorités hiérarchiques ne peuvent ou ne veulent pas jouer leur rôle. » Preuve de ce fonctionnement hermétique, les « notices » qui permettent de vérifier l’avancement des dossiers ne sont guère tenues par les juges. Bien qu’elles soient obligatoires.

L’idée se répand donc que Marie-Paule Moracchini sert de bouc émissaire, évitant à d’autres magistrats de balayer devant leur porte. Des dossiers poussiéreux et des souvenirs désagréables ressortent des placards. Telle cette affaire d’escroquerie remontant à 1986, dans laquelle deux policiers furent impliqués. Là encore, Marie-Paule Moracchini vient de subir les remontrances de la chambre d’accusation : depuis l’inculpation des deux fonctionnaires, en 1989, rien n’avait été fait.

Cette passivité avait-elle un rapport avec le fait que l’un des policiers avait été à l’origine de la création d’un syndicat de police de droite ? Dans ce dossier, le neveu d’un avocat général de la cour d’appel de Paris n’apparaissait-il pas ? Lequel fut cependant jugé et condamné. Quoi qu’il en soit, ce nouvel exemple de négligence présumée de Mme Moracchini pourrait lui valoir d’autres déboires disciplinaires (nos éditions du 6 octobre 2000). Avant de se prononcer sur une saisine du CSM, la Chancellerie a engagé une « procédure préalable » et demandé un rapport circonstancié à la présidence de la cour d’appel.

Dernière nouvelle à avoir ému quelques habitués du palais : la composition de la chambre d’accusation, qui se penche aujourd’hui sur le cas Moracchini. Aux côtés du président, Gilbert Azibert, y siège Jacques Buisson, fin juriste aux compétences reconnues. Seul défaut du magistrat, aux yeux de certains observateurs : il a ses entrées à la Chancellerie et a longtemps fait partie du « club des six » invité régulièrement aux petits déjeuners d’Elisabeth Guigou. « Loin de nous l’idée qu’ils aient pu discuter des dossiers sensibles… », ironise-t-on au palais, en dénonçant cette relation entre un magistrat du siège et l’exécutif. « Jacques Buisson est parfaitement loyal. C’est un mauvais procès », tranche l’un de ses collègues.

Aujourd’hui, devant la chambre d’accusation, les parties civiles dont Mes Olivier Morice et Nicolay Fakiroff, avocats d’ex-scientologues demandent le dessaisissement de Marie-Paule Moracchini, et stigmatisent son « inaction » depuis des mois. Dans ses réquisitions écrites, le parquet général, représenté par Jacques Schmelck, recommande également ce dessaisissement et parle de « volonté d’inertie malheureusement avérée » du magistrat instructeur. De son côté, Marie-Paule Moracchini explique tout bonnement qu’elle n’a rien fait parce qu’elle n’avait plus accès à un dossier dont les tomes étaient enfermés dans un coffre-fort du palais.

Appelée à trancher, la chambre d’accusation a le choix entre trois solutions. Elle peut renvoyer le dossier, solution qui paraît peu probable : choisie il y a un an, lors d’une précédente saisine de la chambre d’accusation, elle a abouti au blocage actuel. Elle peut aussi désigner un autre juge d’instruction ou encore confier l’affaire de la Scientologie à l’un de ses propres conseillers. Cette dernière option est préconisée par le parquet général. Pour ajouter à la confusion, Me Olivier Metzner, avocat de la secte, vient de prendre la défense de Marie-Paule Moracchini et d’écrire à la chambre d’accusation que « les critiques formulées à l’égard de ce magistrat (sont) plus que surprenantes ». Un courrier qui ne manquera pas de raviver la rumeur d’une sympathie du juge pour la Scientologie allégation qu’elle dément totalement.

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